(POLITIQUE MARTINIQUE) Être indépendantiste en France : trahison ou position stratégique ?
On m’accuse d’incohérence. Mais être indépendantiste en France, ce n’est pas une contradiction. C’est une position stratégique.
Par Clamaria
L’indépendance des dernières colonies est le seul chemin. Depuis quelques jours, un débat est né sous mes vidéos et dans les commentaires: peut-on être indépendantiste en vivant en France ?
Encore une fois, j’ai fait l’objet de débats sur les réseaux sociaux, simplement parce que j’ai eu le courage d’analyser la prise de parole d’une lanceuse d’alerte sur la vie chère.
Et pour tenter de décrédibiliser mon média — qui est aujourd’hui un média d’utilité publique — on m’a reproché d’être passée d’une opinion politique dite de droite à une opinion indépendantiste, voire d’extrême gauche.
Je vous arrête tout de suite : je ne suis pas de gauche, je suis indépendantiste. Ce n’est pas la même chose.
L’extrême gauche a une vision du pouvoir différente de la mienne. Elle défend un modèle horizontal et participatif. Moi, je crois à un pouvoir qui s’exerce de manière verticale.
Aujourd’hui, mon opinion politique est claire : je défends la souveraineté politique de la Martinique. Je crois que la Martinique peut avoir un chef d’État, un gouvernement, des institutions dignes d’un pays indépendant.
Et visiblement, penser ça est mal vu, surtout parce que je vis dans le pays colonial.
Pour certains compatriotes martiniquais, cela paraît contradictoire, voire hypocrite.
Alors pour répondre à ces injonctions, on va voir deux choses :
• D’abord que certains tiennent un discours colonial tout en vivant dans un pays colonisé
• Ensuite que l’indépendance peut être bénéfique pour la nation martiniquaise
Indépendantiste en France : est-ce crédible ?
Certains compatriotes considèrent qu’on ne peut pas être indépendantiste et vivre dans le pays oppresseur.
Pour eux, on ne peut pas plaider la pleine souveraineté d’un pays colonisé tout en vivant dans le pays colonial.
Mais être indépendantiste, c’est prôner la liberté d’un peuple colonisé.
Cela signifie qu’il existe un rapport de domination entre deux territoires, et que l’un impose sa loi à l’autre.
Cette domination peut être :
• Politique : les mêmes lois s’appliquent dans le pays colonisé que dans le pays colonial ;
• Économique : le pays colonial exporte ses produits dans le pays colonisé, mais refuse d’en importer ;
• Diplomatique : le pays colonisé ne peut pas signer d’accords avec ses voisins sans passer par le colon ;
• Administrative : le pouvoir est centralisé, les décisions majeures ne sont pas prises localement.
Dans ce type de situation, le pays colonisé ne peut pas se développer.
Il est asphyxié, dépendant, tenu en laisse.
Refuser la soumission totale
Être indépendantiste, c’est refuser la soumission totale. C’est refuser de dépendre d’un pouvoir qui ne nous reconnaît pas.
Aujourd’hui, de nombreux élus locaux soulignent le manque de compétences, c’est-à-dire l’incapacité de décider dans des domaines essentiels. Par exemple, la Collectivité Territoriale de Martinique ne peut pas décider du programme scolaire des enfants martiniquais. On nous impose un contenu éducatif pensé ailleurs, pour d’autres réalités.
Refuser la soumission, c’est aussi :
• refuser de voir notre souveraineté alimentaire détruite ;
• refuser que nos terres agricoles soient livrées aux promoteurs immobiliers ;
• refuser qu’un territoire au milieu de l’océan manque d’eau potable.
Tout cela montre une volonté simple : avoir du pouvoir pour notre pays, et l’exercer pour nous-mêmes, selon nos réalités.
L’indépendantiste met au centre de son projet : l’autorité, la liberté, la souveraineté.
Et cela, on peut le porter même en vivant dans le pays colonial.
Je suis indépendantiste et je vis en France
C’est un fait. Et c’est une position politique.
Mon pays, ce n’est pas la France, ni même l’Afrique. C’est la Martinique. Je suis un exemple concret d’indépendantiste vivant dans le pays colonial. Et pour certains, ça dérange.
On me dit que c’est contradictoire, surtout parce que les réalités ne sont pas les mêmes. La vie en Martinique est plus chère qu’en France. Et certains pensent que ceux qui vivent ici profitent d’un certain confort.
Mais la réalité, c’est que l’indépendantiste vivant ici subit un effacement culturel. On nous demande de nous taire pour être acceptés. On nous pousse à effacer notre identité pour mieux nous assimiler.
Et ça me ramène à ceux qui pensent que je ne devrais pas m’exprimer depuis la France sur la situation politique de la Martinique. Ce qu’ils me demandent, c’est d’effacer mon identité.
Ce sont eux qui pensent de manière coloniale.
Ce sont eux qui utilisent les outils de la plantation pour attaquer celles et ceux qui portent une parole politique noble : autorité, liberté, souveraineté.
Être indépendantiste ici, c’est un acte de courage
Les indépendantistes qui vivent en France et qui osent dire qu’ils le sont, sont courageux. Et ce n’est pas parce que j’en fais partie que je le dis. C’est juste la vérité. On est stigmatisés, mis à l’écart, moqués, traités de rêveurs, d’illuminés. Mais dans un pays colonial, revendiquer l’indépendance est un acte de noblesse.
Nous sommes les premiers opposants politiques à la plantation coloniale. Si le pays colonial veut nous faire taire, il peut. Mais il ne le fait pas. Parce qu’il sait que nous sommes visibles. Présents. Et que notre parole dérange.
Dans ce contexte, un indépendantiste en France est un éclaireur. Un veilleur. Un éveilleur de première ligne.
Le combat ne se mène pas que “là-bas”
Certains pensent qu’on ne peut pas combattre la plantation qu’en vivant sur le terrain, dans le pays colonisé. Mais celui qui vit dans le pays colonial peut aussi se battre depuis ici. Celui qui pense le contraire nourrit encore une fois la pensée coloniale. Il veut restreindre la parole, la localiser, l’enfermer. Mais la souveraineté, ça se pense partout. Ça se défend partout. Être ici, c’est aussi faire écho.
Être indépendantiste et vivre en France, c’est aussi faire écho aux luttes. Porter la voix des territoires colonisés depuis le cœur même du système. Au lieu de voir ça comme une contradiction, on devrait y voir une opportunité stratégique.Un levier. Une autre ligne de front.
Les Kanak : un exemple de maturité politique
Si je prends l’exemple des Kanak, on voit qu’il n’y a aucun problème à vivre en France tout en étant indépendantiste. En ce moment, la CCAT est en tournée en France pour parler des prisonniers politiques kanak. Et personne ne remet en question leur légitimité. Pourquoi ? Parce que tout le monde sait que ce sont les indépendantistes de la première heure.
Je rappelle que dans les années 1980, la lutte pour l’indépendance de la Kanaky a mené à un bain de sang. Mais aussi à des accords politiques majeurs, reconnaissant leur droit à être décolonisés, et à accéder à la pleine souveraineté de leur pays. Les Kanak ne considèrent pas ceux qui vivent en France comme des traîtres. Au contraire : certains m’ont remerciée d’élever leur voix ici, à 17 000 kilomètres du pays colonisé. Ils savent que plus on est loin, moins on est entendu. Mais ils ont compris une chose : le combat a besoin de relais, où qu’ils soient.
Quand je parle avec eux, je sens qu’ils sont déjà à une autre étape du processus. Ils ont dépassé ces histoires de “légitimité géographique”. Ils comprennent que ce qui compte, c’est la clarté du message et la constance du combat. Pas le lieu depuis lequel on parle.
La peur du changement, le vrai problème
Ce que je veux mettre en lumière, c’est l’état psychologique de nos peuples dans le combat. Quand certains critiquent ceux qui vivent en France, ils projettent leurs propres peurs :
• La peur que la décolonisation devienne réelle.
• La peur de ne plus être au centre.
• La peur de tout ce que cela va changer.
Ces peurs desservent la cause. Ce ne sont pas les indépendantistes de France qui trahissent.
Ce sont ceux qui cherchent à s’approprier la parole, à en exclure les autres, à se sentir plus légitimes.
Le pouvoir ne vient pas que des élus
C’est comme ceux qui disent que seuls les élus peuvent parler sur certains sujets. Ils oublient que les associations, les collectifs, les citoyens organisés font partie du peuple.
Et c’est le peuple qui vote, pas l’écharpe.
Quand on pense qu’un élu est plus légitime qu’un militant, on légitime la hiérarchie politique. Et ça, c’est exactement ce que fait le système colonial.
Le patriotisme ne s’arrête pas aux frontières
Quand des compatriotes critiquent ceux qui sont partis, ils montrent une chose : ils ne sont pas réellement indépendantistes. Parce que le patriotisme, ce n’est pas être d’accord sur tout. Le patriotisme, c’est l’amour du peuple, même quand il est dispersé. C’est l’amour de soi, même dans l’exil. Même dans le désaccord. Et quand vous méprisez l’autre, vous vous niez vous-mêmes.
Et ça, les colons le voient, ils le sentent, et ils s’en réjouissent.
Faire entendre la cause au cœur du système
Je crois profondément que plus les indépendantistes se feront entendre depuis la France, plus le peuple français comprendra. Dans ce combat, il n’y a pas que le pouvoir colonial. Il y a aussi le peuple français, qui peut — s’il écoute — comprendre notre cause et la soutenir. Parce que dans une lutte de libération, il y a toujours des complices du système…
Mais il y a aussi des alliés conscients.
Nous sommes en position
Quand on plaide l’indépendance, ce n’est pas pour faire joli. C’est pour que les politiques publiques répondent enfin à la réalité des Martiniquais.
C’est pour lutter contre le chômage, contre la vie chère, contre la violence. Mais tous ces leviers relèvent d’un pouvoir que nous ne maîtrisons pas : le pouvoir étatique.
Et ce pouvoir-là, il échoue.
Le système n’arrive pas à gérer nos vies depuis Paris. Il est dépassé. Déconnecté. En bout de course. Alors il est temps de prendre nos responsabilités. D’avoir confiance en nous — d’abord chacun, puis ensemble.
Parce que personne ne peut décider mieux que nous de ce qui nous convient.
Nous ne sommes pas en exil. Nous sommes en position.
« Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, l’accomplir ou la trahir. »
— Frantz Fanon
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À propos de l’autrice
Clara, fondatrice de Clamaria Média, est chroniqueuse politique martiniquaise. À travers ses prises de parole, ses analyses et ses contenus engagés, elle explore les réalités sociales, politiques et culturelles des Outre-mer et du continent africain.
Clamaria Média est un espace indépendant de réflexion, de critique et de transmission, né d’une volonté : donner la parole à celles et ceux qu’on n’écoute pas. Clara s’inscrit dans une démarche libre, décoloniale et enracinée, au croisement du terrain et de la pensée.
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